Au sein de nombreuses traditions à travers le monde, l’équinoxe de printemps est vu comme le signe d’une grande confrontation entre les forces de l’obscurité et de la lumière. Cela est symbolisé dans beaucoup d’enseignements sacrés par la mort et la résurrection de leurs divinités. Dans un contexte d’initiation, cette confrontation est vue comme une étape importante de la réalisation personnelle ; où la lutte entre l’obscurité et la lumière crée l’opposition nécessaire au développement, c’est-à-dire la progression à travers le combat et l’opposition. Ainsi, le mouvement et le changement ont souvent été représentés par le va-et-vient entre deux opposés, et donc par le conflit et la contradiction. Pourtant, de telles oppositions ne sont pas uniquement présentes dans les traditions et coutumes symboliques ; elles le sont également dans nos tendances et influences socio-culturelles. L’histoire en porte l’exemple : dans sa théorie, Karl Marx déclara que la lutte des classes (entre la bourgeoisie et la classe ouvrière) conduirait à la résolution en une société humaine dépourvue de classes (socialisme). L’idée que la lutte permette la création d’une troisième force – une force de résolution – est également connue comme dialectique (thèse + antithèse à synthèse). Les idées Marxistes sur la lutte dialectique ont été grandement influencées par la philosophie idéaliste du penseur allemand George Hegel. En effet, Hegel développa le concept selon lequel le mental, ou l’esprit, se manifeste au sein d’un ensemble de contradictions et d’oppositions qui sont ensuite intégrées et unies dans la synthèse. Selon Hegel, la synthèse (l’absolu) doit toujours passer par l’étape d’opposition dans son cheminement vers la réalisation et la vérité. Sur le plan matériel, Hegel considérait cette relation dialectique comme le processus à travers lequel l’histoire de l’Homme se déroule ; c’est-à-dire que l’histoire (l’évolution sociale) progresse comme une lutte entre deux forces d’opposition vers l’état de résolution.
Pour Hegel, la principale caractéristique de la ‘résolution dans l’unité’ tenait en l’évolution à travers la contradiction et le déni. Ces luttes, selon Hegel, peuvent être présentes dans la plupart des domaines sociaux tels que l’histoire, la philosophie, l’art, la nature et même la conscience. Il est utile de remarquer que la pensée de Hegel a été hautement influencée par les travaux du moins célèbre écrivain chrétien allemand Jacob Böhme. Les visions intérieures de Böhme l’ont mené à la création d’une cosmologie où il était nécessaire pour l’humanité de retrouver Dieu. Ces états conflictuels constitueraient une étape nécessaire à la future réalisation de l’évolution de l’univers. Dans cette séparation, ce conflit et cette résolution, le libre arbitre de l’Homme était le plus important des présents que Dieu pouvait nous offrir. Autrement dit, il serait de notre responsabilité – un privilège qui plus est – de travailler vers notre réconciliation à travers la lutte et les forces de résistance en opposition.
De façon similaire, les enseignements du philosophe-mystique grec-arménien George Gurdjieff décrivent une relation en triade (Sainte Affirmation, Sainte Négation à Sainte Réconciliation) qu’il appelait la « Loi des Trois ». Dans ce contexte, nous pouvons observer comment l’union d’impulsions contradictoires (telles que le mental et l’esprit) conduirait à la résolution non seulement en une intégration des forces contradictoires mais également en une synthèse plus grande que la somme de ses parties.
De la même manière, le psychologue et philosophe humaniste Erich Fromm a remarqué que la société du monde industriel vers la moitié du 20e siècle souffrait de ce qu’il considérait comme la lutte contradictoire entre l’avoir et l’être. L’idéologie d’une croissance continue et de la consommation – la modalité de l’avoir – entrait en conflit avec les nécessités humaines de recherche de sens, de bien-être et de croissance personnelle – la modalité de l’être. Fromm voyait la résolution de ce conflit dans le Nouvel Humain. Ainsi, il écrit : « nous sommes une société de personnes manifestement malheureuses : solitude, anxiété, dépression, destruction, dépendance – des gens qui se réjouissent d’avoir tué le temps que nous nous efforçons de sauver ». Il en conclut que « la survie physique de la race humaine dépend d’un changement radical du cœur humain ».
La majeure partie du courant de pensée actuel est révélatrice de ce manque d’appréciation pour la nature changeante de la conscience humaine. Aussi échoue-t-elle à prendre en compte le rôle et l’influence de la conscience sur les conditions extérieures. Par ailleurs, il est dangereux de penser que les influences opposées ne peuvent aboutir qu’à un « ou exclusif ». Dans une certaine mesure même Erich Fromm l’avait avancé, considérant que nous pouvons vivre selon le mode de l’avoir ou de l’être, mais pas les deux en même temps.
Pour moi, il y a encore une autre chose qui n’a pas été prise en considération ; un « quelque chose » qui participe au tissage des forces opposées et qui assiste à la génération d’une synthèse/résolution ; « quelque chose » d’immatériel, et pourtant de tangible. Pour reprendre l’analogie utilisée par le poète persan Rumi, nous pouvons rassembler les ingrédients d’opposition que sont la farine, l’eau et la levure sans pour autant obtenir du pain. Un autre élément doit être ajouté à la préparation : le feu – la chaleur du four nécessaire à la cuisson du pain. La chaleur est la force – immatérielle mais tangible – qui amène les ingrédients vers leur synthèse ; dans ce cas, le pain. En un sens, Gurdjieff se référait à cette force immatérielle avec la force réconciliatrice de sa « Loi des Trois » – une force d’attention et d’intention.
Aussi, dans les systèmes physiques, on définit un point de « non –retour » par la capacité du système à organiser l’énergie de façon ordonnée. L’alternative est soit la rupture (effondrement) soit une plus grande quantité d’énergie entrant dans le système afin d’être utilisée pour la génération et la création d’un plus grand ordre, conduisant alors le système vers une étape de développement ultérieure. Alors, pourquoi je vous raconte ça ?
J’ai commencé ce court essai en mentionnant comment l’équinoxe de printemps symbolise un temps où la lutte des forces opposées (ombre et lumière) trouvent un équilibre et une résolution – dans ce cas, une durée égale de jour et de nuit. Il représente également un temps de mort, de renaissance et de réalisation (initiation). J’ai la sensation que le monde est désormais en train de traverser une version de cette lutte à plus grande échelle ; et qu’une synthèse globale est en effet nécessaire. Chacun d’entre nous doit aussi faire face à ses propres combats et forces contradictoires venant de l’intérieur et de l’extérieur. La question finale à ce sujet serait : pouvons-nous trouver et utiliser cette énergie réconciliatrice, immatérielle mais tangible ? Et quelle est-elle ?
Dans les affaires internationales, l’art, la psychologie et la vie sociale – en chaque chose – ; le besoin pour cette « autre force » se fait sentir. Peut-être est-elle présente – que nous ne la percevons pas ou que nous ne pouvons pas la percevoir – ; et qu’elle est un des mécanismes de notre évolution sociale et culturelle ? Et peut-être même que nous pouvons nous connecter et utiliser cette force de synthèse ? Et si cette force réconciliatrice était l’énergie d’une attention consciente et dirigée ? C’est-à-dire, la force de la conscience et de la participation – d’une intention consciente vers un but ?
Tout ce que nous faisons peut être fait différemment. Et pas seulement les choses importantes de notre vie (travail, amour, etc.) mais également les choses plus simples : cuisine, nettoyage, préparation, arrangement, et ainsi de suite. Autrement dit, poser une intention consciente dans chaque rencontre et participation – dans chaque geste – ne serait-ce pas quelque chose ? Après tout, voudrions-nous vraiment faire du mal, mal faire, mal parler, si nous étions conscients de ces moments ? La conscience humaine, lorsqu’elle a conscience d’elle-même, peut s’avérer être une force supérieure pour la résolution, la synthèse, l’intégration et le développement.
Nous ne devons pas nécessairement regarder uniquement les forces matérielles globales (ex : la guerre) pour voir le potentiel inhérent des forces de réconciliation pour l’amélioration. Ces forces contradictoires – d’opposition – agissent également en chacun de nous. Pourtant, le premier obstacle à franchir est reconnaitre l’existence et le fonctionnement de ces forces. En percevant leur existence nous aidons l’arrivée de la force d’intention dirigée à se manifester. L’activation de la conscience nous permettra peut-être de passer à l’étape suivante de l’intention dirigée vers un objectif déterminé – résolution et harmonie. En haut comme en bas : dans le monde comme en nous. Ces forces sont en chaque chose et nous entourent. Elles sont autant présentes dans nos mythes et nos histoires que dans nos systèmes et nos structures sociales. Elles existent également dans nos sciences.
Un bref aperçu de la mécanique quantique nous apprendra que des paquets de quanta peuvent à la fois exister sous l’état de particule et d’onde – n’est-ce pas là une situation contradictoire, ne pas savoir sous quel état exister ? Car, c’est seulement sous l’effet de l’observation – la participation de l’observateur – que le quanta « choisit » son état, on dit alors qu’il « s’effondre » en particule ou en onde. En d’autres termes, l’attention dirigée fait basculer la réalité existante. La voie vers la réconciliation des luttes que nous traversons, et vers un développement majeur, se trouve dans le « feu » de notre conscience.
Nous participons au monde autour de nous via une force immatérielle mais tangible : une attention consciente, une intention dirigée et une participation réfléchie. C’est à travers cela que nous pouvons travailler avec les forces d’opposition vers la résolution et un plus grand ordre de synthèse et d’intégration. Cela requiert une forme de travail intérieur – nous devons nous mettre dans toutes les situations et les circonstances tel un chaudron de changement. Nous pouvons être l’agent – le catalyseur – en ajoutant notre intention consciente au mélange. Peut-être que c’est ce qu’on attend depuis si longtemps…d’être prêt pour ça.
Traduction réalisée par Jennifer Dureau (dureau.jennifer@gmail.com)
PDF – Toward Synthesis_FR